Le cycle des secrets by Manon Fargetton

Auteur:Manon Fargetton [Fargetton, Manon]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard Jeunesse
Publié: 2023-09-26T00:00:00+00:00

Chapitre dix-sept

Le croissant de lune, qui s’élevait dans le crépuscule tandis que les esclaves rentraient des champs, était plus effilé que le tranchant d’une lame. Zigante avait fait profil bas tout le jour, travaillant sans se plaindre. Il gagna avec les autres le bâtiment sordide qui leur servait de quartier, s’assit sur la natte élimée. Il sentit un creux sous sa fesse droite, à l’endroit où il dissimulait des vivres et du matériel depuis leur retour de la ville. Quelques poignées de céréales, de la viande de bétaj séchée qu’il avait chapardée, de vieux vêtements pour protéger ses pieds lorsqu’ils devraient courir sur les rochers, une outre trouée. Tout était empaqueté, prêt au départ.

Quatre wasi apportèrent le repas du soir dans une marmite au contenu déjà froid. Hafed, le vieux qui gardait en permanence un œil sur Zigante, lui tendit une écuelle. La bouillie qu’elle contenait n’aurait aucun goût, comme d’habitude, et les graines qui l’accompagnaient semblaient racornies. Peu importait. Zigante engloutit cette fois son repas sans rien mettre de côté. Il devait prendre des forces.

Une rumeur circula entre les esclaves : un équipage de l’Empire étoilé avait coulé un bateau de pêcheurs. Il n’y avait aucun survivant parmi ces derniers.

Zigante était bien placé pour savoir que l’empereur avait ordonné à ses soldats d’attaquer le plus souvent possible les bateaux aletheiens. Pour la première fois, il se demandait dans quel but. Certainement pas pour envahir la cité-État, que l’empereur et ses stratèges savaient quasiment imprenable. Alors pourquoi maintenait-il ainsi la modeste flotte d’Aletheia sous une pression constante ?

Quand il rentrerait chez lui, il tenterait de percer ce mystère.

Comme chaque soir, il se déchaussa et s’étendit sur sa natte. Quelques esclaves entamèrent une partie de dés dans un coin. Il ferait bientôt trop noir pour qu’ils continuent.

Zigante attendit. Il enregistra la position exacte de chaque corps endormi. Les murmures moururent autour de lui, les souffles s’allongèrent. Il attendit encore.

Dehors, le froissement des insectes fit place aux cris ouatés des oiseaux nocturnes. Zigante glissa une main sous sa natte, récupéra le contenu du trou. L’obscurité était totale. Il se redressa en silence, attrapa ses sandales et son paquetage. Se leva.

Le rideau qui servait de porte ondulait à dix pas. Zigante enjamba les dormeurs un par un. Un murmure de tissu s’éleva dans l’angle. Quelqu’un se retournait. Il s’immobilisa, retint sa respiration. Le bruit s’interrompit. Zigante reprit sa progression. Bientôt il se glissa sous le rideau.

Devant lui, le domaine dormait sous une brise à la fraîcheur délicieuse. Comme sur son archipel natal, songea Zigante avec un sourire. Ce qu’il aurait donné à cet instant pour parcourir les plages noires des Idylles…

– Je me disais bien que tu étais trop sage.

Zigante fit volte-face. Le vieil Hafed, assis au pied du mur du dortoir, l’observait d’un air tranquille.

– Besoin de me soulager, lâcha Zigante.

– Avec un sac ?

Ils se jaugèrent un moment.

– Tu n’as pas peur que je te tue, Hafed ?

– J’aurais le temps de donner l’alerte. Il y a assez de gardes aux alentours pour qu’ils entendent mon cri et accourent.

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